dimanche 11 novembre 2007

Le domino institutionnel doublé de "l'effet boomerang" : du fédéral jusqu'à Bruxelles-Capitale

Le geste fort et inédit posé par les Flamands contre les Francophones -communauté contre communauté- en commission parlementaire le 7 novembre dernier, au niveau fédéral, implique désormais la même possibilité de remise en cause de l'équilibre institutionnel inter-communautaire au niveau bruxellois, selon le mécanisme du domino.
Il ne faut jamais oublier que la création et le "bétonnage" de mécanismes de protection de la minorité flamande au niveau bruxellois, en 1989, répondaient aux mêmes garanties de protection que celles de la minorité francophone au niveau fédéral.

Sur le plan fédéral, les francophones représentent 40 % de la population, les Flamands 60 %. Mais la parité francophones/néerlandophones est accordée pour les ministres fédéraux : autrement dit, il y a 50 % de ministres fédéraux francophones et 50 % de néerlandophones, sans compter toutes les autres garanties de "veto communautaire". Politiquement, les 2 communautés linguistiques sont donc considérées sur le plan fédéral comme 2 "co-majorités".

A Bruxelles, c'est le même mécanisme de parité politique (50% de ministres régionaux bruxellois sont francophones, 50% sont néerlandophones) et de garanties, mais ici ce sont les Flamands qui forment la minorité démographique : la population bruxelloise est constituée par environ 10% de Flamands (néerlandophones) et 90% de Francophones.

Par une simple comparaison, on observe que les Flamands sont donc nettement plus avantagés à Bruxelles que les Francophones le sont au niveau fédéral. Ils auraient donc beaucoup plus à perdre à Bruxelles que les Francophones au fédéral...

Remettre en cause le subtil équilibre de compromis communautaire au niveau fédéral, ce qu'ont fait les Flamands le 7 novembre, dans un contexte déjà tendu de quasi-crise de régime, c'est ouvrir la boîte de Pandore et ouvrir la voie à une remise en cause similaire des garanties de la minorité à Bruxelles, cette fois par les Francophones.

Il est probable que les Francophones n'hésiteront pas, eux aussi, le moment venu, à faire valoir et prévaloir à Bruxelles-Capitale leur statut de majorité démographique, selon la même logique que celle utilisée par les Flamands au fédéral.

Cela reviendra à la face des politiciens flamands comme un effet boomerang.

Or il n'y a plus désormais de tabous institutionnels en Belgique, depuis qu'ils ont été pulvérisés par le passage en force flamand. Désormais Bruxelles-Capitale et la Wallonie peuvent vouloir s'organiser en commun, sous la forme d'une fédération de deux régions autonomes, sans la Flandre. C'est probablement ce qui émergera de la Commission intra-francophone sur l'avenir de la Wallonie et de Bruxelles.
L'éventuelle opposition de la minorité flamande de Bruxelles à cette perspective n'empêchera pas la décision démocratique de le faire (par un vote parlementaire majoritaire ou un référendum), de la même façon qu'au fédéral les oppositions des Francophones n'empêchent plus la volonté des Flamands de devenir indépendants un jour ou l'autre.

En cas de séparation, le principe de réciprocité implique et exige, sur le plan démocratique, que ce qui est valable pour la Flandre au niveau de la Belgique (respect de la volonté de la majorité flamande) le soit aussi pour les Belges francophones au niveau de Bruxelles-Capitale.

C'est ce qui est en train de se jouer actuellement au grand théâtre de la perte des dernières illusions dans "l'union sacrée flamando-francophone".
On aimerait d'ailleurs un peu plus de clarté et d'honnêteté des politiciens francophones à l'égard de la population en ce qui concerne l'importance de ce qui se profile à l'horizon. Bref, un vrai projet, une préparation, la fin de la politique de l'autruche, et non pas des incantations à l'égard des Flamands pour tenter de les empêcher de réaliser leurs objectifs nationaux, ce qui produit l'effet inverse à celui recherché...
Exemple : quand Didier REYNDERS demande des garanties de la part des Flamands pour, en gros, ne plus rompre le pacte belge (méthode coué ?), les Flamands, par l'intermédiaire du cartel CD&V et NV-A, répondent qu'ils exigent des garanties des Francophones sur la réforme institutionnelle. Ambiance.
Dialogue de sourds...

Fort heureusement, la culture démocratique des deux peuples concernés (Flamands et francophones) ainsi que le cadre de l'Union européenne, permettent une séparation à l'amiable (à la tchéco-slovaque) et dans le respect des minorités nationales.

Mais certains signes sont néanmoins inquiétants dans les discours actuels de radicaux de tous poils, ceux qui prônent carrément la diabolisation de l'autre communauté, dans les médias, sur l'arène politique et dans divers forums internet. Comme pour un couple dans la vie, il y a deux façons de se séparer quand il est devenu impossible de vivre ensemble : de façon pacifique ou de façon violente. J'espère que la première prévaudra et que personne ne sombrera dans la surrenchère nationaliste.

Au sujet de l'importance stratégique de Bruxelles dans la crise actuelle, voir aussi l'excellent article du politologue, historien et professeur d'institutions européennes Jean-Paul NASSAUX, dans le quotidien français Libération du 9 novembre : "Bruxelles, un enjeu pour la francophonie" :
http://www.liberation.fr/rebonds/290196.FR.php

vendredi 9 novembre 2007

Un Lion (flamand) et un Coq (francophone) sont dans un couloir...

... facile de deviner qui va manger l'autre.

On connaît la rengaine : en cas de scission de l'arrondissement bilingue BHV (Bruxelles-Hal-Vilvorde) par les Flamands, les chefs de partis francophones réclament, en bombant le torse, l'élargissement de Bruxelles aux 6 communes de la périphérie, situées en Flandre mais très majoritairement francophones. Pour les Francophones, l'enjeu est surtout, dans ce cas, d'assurer un lien territorial entre la Wallonie et Bruxelles, séparées par seulement 5 km : le "couloir" de la commune de Rhode-Saint-Genèse, francophone à 65%. Il sera néanmoins difficile pour les Francophones d'obtenir ce couloir advenant la scission de BHV. Or BHV sera de toute façon scindé par la seule volonté des Flamands majoritaires dans la fédération, la scission historique ayant été votée en commission ce mercredi 7 novembre. Certes, les procédures de "conflit d'intérêt" et de "sonnette d'alarme" permettent au bloc francophone au Parlement fédéral de retarder un temps la réforme flamande, mais pas d'empêcher la volonté majoritaire, au risque d'un blocage total.

Pour les Francophones, réclamer l'élargissement de Bruxelles en cas de scission, cela revient au même que réclamer le "couloir" de Rhode, mais c'est beaucoup plus "politiquement correct". De même qu'il est bien plus "présentable" pour les Flamands d'exiger la scission de BHV que de simplement dire qu'ils veulent en fait établir une future frontière d'Etat "propre et nette".

La différence entre les deux exigences opposées des Flamands et des Francophones c'est que la réaction des seconds est purement "défensive" et surtout les Francophones n'ont pas les moyens d'imposer la leur puisqu'ils sont logiquement minoritaires au Parlement. Or l'élargissement de Bruxelles "en contrepartie de la scission flamande de BHV" ne peut pas s'obtenir par un vote minoritaire, c'est assez évident...

Le seul "espoir" possible pour les Francophones serait un arbitrage européen ou international, mais pour cela il faudrait une volonté déclarée de la Flandre de faire sécession. Or les politiciens flamands sont suffisamment intelligents pour avoir compris que c'est dans leur intérêt d'avancer masqués, avec leur histoire de "confédération" pour sauver les formes. Ils feront peser sur les francophones le poids de l'inévitable séparation à venir... Echec et mat ?

Ce qu'ils oublient, c'est qu'ils ont beau supprimer l'arrondissement BHV, les 120 000 Francophones de la périphérie, eux, ne pourront pas être "supprimés", autrement dit ils continueront d'habiter en "Flandre" et donc constituer une grosse épine "impure" dans le pied de cette Flandre de plus en plus grossièrement nationaliste étriquée et ethniquement puriste. En d'autres mots, indépendance ou pas, amis flamands, la périphérie de Bruxelles continuera à se franciser, car on ne peut pas couper artificiellement une périphérie de sa ville-centre. Or, avec une ville-centre de 1 million d'habitants à 90% francophones, il est difficile d'imaginer comment la périphérie immédiate et son demi-million d'habitants (dont 120 000 francophones) pourraient être unilingues flamands.

C'est là tout le malentendu entre Flamands et Francophones. Les Flamands sont certainement sincères lorsqu'ils sont persuadés que les francophones de la périphérie ne veulent pas s'intégrer en "Flandre". Mais ce qu'ils n'arrivent pas à comprendre c'est que pour ces francophones il ne peut pas s'agir de "s'intégrer" à la Flandre puisqu'ils habitent dans une zone urbaine très majoritairement francophone, vivent en français, travaillent en français à Bruxelles, ont surtout des voisins francophones dans leurs quartiers des 6 communes à facilités, et de fait n'ont pratiquement jamais besoin d'utiliser le néerlandais.
S'ils étaient minoritaires dans les 6 communes en question et si le flamand était la langue de travail majoritaire à Bruxelles, ils seraient bien obligés d'apprendre la langue, mais ce n'est pas le cas. On ne peut pas refaire la réalité pour plaire à un fantasme flamand d'homogénéité linguistique. Les Flamands nient tout simplement la réalité : que Bruxelles est à 90% francophone.
Par contre, quand un francophone va s'installer à Gand, à Louvain, ou à Anvers, il est bien obligé de "s'intégrer" en néerlandais car c'est effectivement la seule langue courante dans ces régions : il n'y a pas de choix possible, donc aucun problème dans ce cas.

Le problème pour les Flamands est leur impossible deuil de Bruxelles. C'est un peu comme si les Français voulaient reconquérir linguistiquement la Nouvelle-Orléans en niant son caractère aujourd'hui anglophone, sous prétexte que ce fut jadis une ville "HISTORIQUEMENT" francophone. L'argument du "Bruxelles historiquement flamand" utilisé par les Flamands pour justifier une éventuelle annexion est simplement dangereux sur le plan démocratique car il constitue une négation des réalités du présent. CONCLUSION : dans notre beau pays Belgique, on est pour l'instant assez mal barrés pour un futur serein...

Version légèrement modifiée de mon post d'aujourd'hui sur le blog de Jean Quatremer "Coulisses de Bruxelles" : bruxelles.blog.liberation.fr


lundi 3 septembre 2007

L'intérêt de la France... (après séparation flamande éventuelle)

Allô Paris ? ... Ici Bruxelles.
Lorsque je discute avec mes amis français du Quai d'Orsay (ministère des Affaires étrangères de la France, MAE), je ne manque pas de les "sonder" au sujet de notre situation belge. Mon poste de diplomate aux Affaires étrangères belges me permet d'entretenir quelques relations professionnelles dans l'Hexagone.

Selon ces partenaires français, la position officieuse de leur pays en ce qui concerne la Belgique est que la France ne laissera rien faire qui puisse constituer un recul francophone dans l'hypothèse d'une indépendance de la Flandre. Je détaillerai plus loin ce que cela signifie concrètement. Officiellement, bien sûr, la France ne "parle" pas d'indépendance flamande, ce n'est officiellement pas à l'ordre du jour. Mais c'est sur toutes les lèvres au Quai d'Orsay.

Quoi qu'il en soit, l'intérêt de la France dont il est question dans cet article ne vaut qu'en cas de situation exceptionnelle sur le plan constitutionnel que serait pour la Belgique l'indépendance flamande. Autrement dit, la France ne cautionne pas une sécession flamande a priori. Tant et aussi longtemps que les Flamands n'auront pas décidé de faire sécession, la position officielle de la France sera évidemment celle du soutien à une Belgique unie.

Dans nos discussions, je constate que mes amis français sont avides de détails sur la situation des Francophones de Belgique, notamment les minorités situées en Flandre : cette préoccupation revient souvent, à mon grand étonnement. En dehors des détails techniques (régime des facilités des communes périphériques, arrondissement "BHV", etc) qu'ils me demandent d'expliquer et de contextualiser, ils sont déjà relativement bien informés de la situation politique générale en Belgique.

Ils ne sont pas "tendres" à l'égard des excès flamands. Ils sont naturellement suspicieux vis-às-vis de la dimension "ethniciste" du nationalisme flamand. Jusque là, pas de surprise de la part de ressortissants du pays de Voltaire.

Pourtant, à ma grande surprise, ils abordent l'hypothèse de la scission avec sérénité et recul, sûrement beaucoup plus que ne le font nos politiciens belges francophones à l'heure actuelle...
Comme si le fait de n'avoir pas le nez à Bruxelles leur permettait d'évaluer la situation avec l'assurance naturelle de cette puissance politique qu'est la France, dotée de toute son expertise internationale concernant de telles crises de nationalités. Un siège au Conseil Permanent de l'ONU, c'est vrai que ça aide. Une voix incontournable au sein de l'Union Européenne aux côtés de l'Allemagne, cela fait le reste...

Donc, avec de telles cartes en main chez son voisin français, la Belgique francophone n'a pas lieu d'être trop inquiète, elle sera soutenue par la France le moment venu. Soutenue ne veut pas dire "absorbée" : les Belges francophones ne veulent pas d'annexion à la France, et la France n'a aucun intérêt politique à mettre fin à l'existence d'un pays francophone en l'annexant.

"Alors, que fera la France ?".
Cette question est évidemment essentielle. La position de la France compte et comptera le jour où la Flandre proclamera sa pleine souveraineté.

Quid de la Belgique alors ?

D'après mes amis du Quai d'Orsay, la France soutiendra le maintien d'une Belgique francophone indépendante, qui serait donc constituée de la Wallonie et de Bruxelles, les deux régions très majoritairement francophones du pays. Cette nouvelle Belgique, unilingue francophone, sera une alliée culturelle et linguistique non-négligeable pour la France au sein de l'Union Européenne, au sein du combat pour la diversité culturelle et au sein de la Francophonie. Elle ne sera plus parasitée par les incessantes querelles avec les Flamands, qui dominent actuellement l'Etat belge et n'ont cure de la solidarité francophone.

Naturellement, les Français ne s'intéressent pas à la forme constitutionnelle que prendra cette nouvelle Belgique et ils ne s'immisceront pas dans ces questions !
La probabilité est que nous conserverons notre monarchie constitutionnelle, facteur important d'identité nationale et institution à laquelle les Belges francophones sont très attachés, tout comme les Français le sont à leur République, et c'est tout naturel. Les Flamands, eux, opteront vraisemblablement pour une république, afin de couper les liens symboliques avec la Belgique.

Je comprends donc que mes amis français m'expliquent que l'indépendance de la Flandre, si elle survient, n'est pas du tout contraire aux intérêts de la France, puisqu'elle permettra l'émergence d'un nouvel Etat francophone belge, à la place de l'ancien Etat belge bilingue et majoritairement flamand d'ailleurs ...

Bruxelles, francophone à 90 pour cent, ne pourra pas être la capitale d'une Flandre indépendante, néerlandophone, en revanche elle restera la capitale de la "petite" Belgique Wallonie-Bruxelles.

Pour le MAE français, toute action qui viserait à diviser la Belgique francophone, à séparer Bruxelles et la Wallonie, serait contraire aux intérêts de la France. La France considérera l'ensemble formé par la Wallonie et Bruxelles (à condition qu'il conserve le nom de Belgique) comme le successeur naturel -en droit international- de l'actuel Etat belge.

Une "annexion" unilatérale de Bruxelles par la Flandre, par exemple par une déclaration solennelle du Parlement flamand, serait considérée par la France -et par l'Allemagne- comme une sorte de "coup d'Etat" contraire aux principes en vigueur au Conseil de l'Europe. On n'imagine pas une seconde la Flandre nouvellement indépendante tenir longtemps une telle position de vilain petit canard de la communauté internationale et en particulier européenne ...

Les Francophones belges doivent donc être conscients de cette force d'appui française et ne pas craindre les expansionnistes flamands menaçant Bruxelles. D'autant plus que cet avis est partagé par l'Allemagne et d'autres grandes puissances. La Flandre ne se mettra donc pas au ban des nations, elle a trop peur d'un tel scénario, et elle a trop d'intérêts économiques et politiques en jeu en Europe. N'est pas "apprenti-Serbie" qui veut ...

A méditer, donc...

Quant aux 6 communes à facilités, majoritairement francophones, situées en Flandre, je crois comprendre que les Français soutiendront l'intégrité territoriale de la Flandre (l'actuelle Région flamande, donc) en vertu de la succession des frontières internes. Il faudra donc que la nouvelle Belgique renonce à ces territoires, tout comme la Flandre devra renoncer à Bruxelles.

Si un blocage intervient entre la Flandre en sécession et la Belgique francophone au sujet du destin des 6 communes à facilités, et qu'un arbitrage international devient nécessaire, il est possible que la communauté internationale, dont la France, acceptera le principe d'un référendum de consultation des populations locales concernées (les 6 communes majoritairement francophones de la périphérie flamande de Bruxelles), qui n'ont jamais été consultées sur le sujet. Cela pourrait arriver si les droits linguistiques de cette minorité en Flandre ne sont pas reconnus, comme c'est le cas actuellement.

La France veillera au respect des minorités nationales dans les 2 nouvelles entités (Flandre et Belgique francophone) : droits des Francophones dans le Brabant flamand, et droits de la minorité flamande de Bruxelles. Probablement qu'elle soutiendra, avec la plupart des autres pays de l'UE, signataires de la Convention européenne sur les droits des minorités nationales, le principe de "réciprocité" en ce domaine.

Belges francophones, nous aurons donc une alliée de poids le moment venu....

jeudi 30 août 2007

Vers une crise de régime en Belgique ?

J'affirme ici que l'union politique entre Flamands et Belges francophones aura cessé d'exister, soit dès cette année, soit d'ici quelques années au plus tard, mais ce ne sera pas la fin de la Belgique (il restera la Wallonie et Bruxelles, leur Etat commun continuera de s'appeler "Belgique"). Pourquoi ces changements politiques à venir et sur quels éléments se base mon affirmation ?

Notre pays, la Belgique, ne traverse pas sa première crise de gouvernement, mais il est probable qu'il s'achemine progressivement vers une crise de régime majeure bien plus grave que celle de la "question royale" de l'après-guerre.
La raison ? L'incompatibilité fondamentale entre les exigences institutionnelles flamandes d'aujourd'hui -conditions minimales pour les Flamands- et la volonté de relatif statu quo côté francophone. On pourrait m'objecter qu'en Belgique, des solutions bancales ont toujours été "bricolées", d'ailleurs toujours au détriment des francophones, pour sortir des crises de gouvernement. Certes, mais à l'époque les francophones cédaient systématiquement car ils étaient demandeurs de financement, de péréquation, bref de gros sous, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

Quelles furent ces principales capitulations institutionnelles du côté francophone ?
Un bref rappel s'impose.

En 1969, les Flamands exigent des francophones de quitter l'université de Louvain, située en sol flamand : après moult tergiversations et une bonne crise politique (et des menaces physiques à l'encontre du personnel francophone de Louvain) la Belgique francophone cède, car elle veut protéger l'unité du pays, intention louable à court terme mais lourde de conséquences à long terme... (imposition du droit du sol contre le droit des gens, etc).

En 1989 il s'agit de négocier sur le statut de Bruxelles : région à part entière ou pas ? Les francophones y tiennent, Bruxelles étant francophone à 90 %, mais les Flamands s'y opposent catégoriquement (question hautement symbolique) car pour eux Bruxelles, enclavée en Flandre, demeure historiquement flamande. Résultat : quelques années plus tard les francophones "cèdent" et acceptent un compromis complètement disproportionné (or, le principe d'un compromis est normalement d'être équilibré), de sorte que Bruxelles sera bien une région, mais le prix à payer pour les francophones est une surreprésentation flamande dans les institutions régionales bruxelloises, la quasi-parité linguistique garantie dans l'exécutif (50% de Flamands alors qu'ils ne sont que 10% de la population) autant d'éléments qui constituent une grave entorse au principe démocratique. De plus, Bruxelles se voit imposer un bilinguisme systématique et non pas pragmatique, ne correspondant pas à la réalité socio-linguistique bruxelloise.
Bruxelles était désormais gérée comme un condominium absolu au détriment des intérêts de la majorité des Bruxellois. C'est une "victoire" à la Pyrrhus pour les francophones, que beaucoup regrettent aujourd'hui... On y reviendra. Mais ce "compromis bruxellois" ne vaut que dans le cas d'une Flandre membre de la Belgique : si la Flandre devient indépendante, Bruxelles la francophone ne suivra pas, et les "compromis institutionnels" bruxellois seront inévitablement remis en cause au profit de la majorité francophone.

Autre absurdité : dans les années 80, tandis que les Flamands choisissent d'établir leur Parlement régional à Bruxelles, ville très majoritairement francophone et située en dehors de la région flamande -il est essentiel de le rappeler-, les Wallons décident contre toute logique d'établir leur "capitale" à Namur, en province. Pourtant Bruxelles est bien la capitale culturelle et économique de la francophone Wallonie. Cette décision a eu pour conséquence un éloignement artificiel entre la Wallonie et Bruxelles, et je ne suis pas sûr que tous nos éditorialistes de la presse écrite francophone en mesurent aujourd'hui la pleine portée. Autant dire franchement ici que la Wallonie, sans Bruxelles, n'a évidemment aucun avenir. Mais ceci vaut aussi, bien sûr, pour les Bruxellois.

Maintenant les francophones ont pris conscience de ces "péchés originels" dans l'attitude qu'ils avaient à l'époque de la mise en place du fédéralisme belge. Ils tentent, tardivement, de recoller les morceaux. Ainsi, tous entrevoient désormais comme inévitable un rapprochement Wallonie-Bruxelles et surtout le renforcement des institutions communes : il était temps ! Ceux qui prônent l'affaiblissement des institutions de la Communauté francophone (officiellement "Communauté française de Belgique", quelle stupidité !) sont soit des inconscients, soit des diviseurs de francophones, heureusement minoritaires.

En effet, la démultiplication des instances francophones a eu largement pour effet de diluer l'autorité étatique au sein de la communauté francophone, en l'atomisant entre plusieurs structures, et de gaspiller des fonds publics : citons l'exemple du maintien de la COCOF bruxelloise, des institutions wallonnes "séparées", etc.
Voulons-nous conserver ce dédoublement permanent entre institutions wallonnes et institutions bruxelloises francophones, ou bien, comme les Flamands, avoir une seule institution efficace ? La question doit être débattue. C'est là le véritable enjeu. Lorsque les négociations sur l'indépendance de la Flandre arriveront, tôt ou tard -car il faudra bien s'y résoudre, si les Flamands la veulent ils l'auront, ils sont 60 %- les francophones se présenteront-ils divisés (et affaiblis) en deux délégations (wallonne et bruxelloise) ou bien unis en une seule ? La rationalité commande l'unité.

Rappelons ce fait précis : sur le plan linguistique la Belgique actuelle est composée de deux principales communautés (la Flamande et la francophone), ce sont donc les communautés qui devront négocier. Les régions belges ne sont pas des entités communautaires mais administratives. Avez-vous déjà entendu parler d'une "communauté (linguistique) bruxelloise" ? Non, car cela n'existe pas. Y'a-t-il une "communauté wallonne" ? Non plus, car les wallons constituent simplement 75 % des francophones de Belgique et les Bruxellois forment les 25% qui restent.

En d'autres termes, la négociation ne se fera pas entre les 3 régions, mais bien entre les 2 communautés linguistiques, c'est d'ailleurs le cas dans les négociations gouvernementales, et nos partis politiques fédéraux sont formés sur des bases linguistiques et communautaires (dans le cas belge, celà revient au même). C'est pourquoi la récente proposition de Joëlle Milquet d'associer les régions à la négociation gouvernementale actuelle (qui ne porte pas encore sur l'indépendance flamande, mais sur les exigences quasi-confédérales de la Flandre), si elle semble astucieuse, est en réalité dangereuse à terme car elle pourrait constituer un précédent et affaiblir le front commun francophone. Ce serait même dans l'intérêt des Flamands, car leur objectif est de diviser les francophones en "régions" (wallonne et bruxelloise) pour obtenir plus de gains. Les Flamands, eux, n'ont pas ce problème : les Bruxellois flamands sont une quantité négligeable dans l'ensemble flamand (seulement 2% des Flamands habitent à Bruxelles), et leurs institutions (Région et communauté) sont déjà fusionnées.

C'est donc de la capacité des francophones de se présenter unis (Wallons et Bruxellois) et de simplifier voire fusionner leurs institutions -et réexaminer la question de Bruxelles si les Flamands veulent scinder BHV*- que dépendra leur succès dans les négociations et l'obtention de compromis équilibrés. Sinon c'est l'échec assuré, et de nouvelles compromissions en vue pour les Belges francophones, compromissions qui cette fois-ci ne seront pas "récupérables".

Quoi qu'il en soit, l'attitude des représentants francophones d'accepter une nouvelle compromission dans le seul espoir de réaliser "l'appeasement" de la Flandre serait tout simplement contre-productive. La Flandre ne sera jamais "apaisée" dans ses exigences institutionnelles tant que l'indépendance plus ou moins totale ne sera pas acquise, même si cela doit prendre encore 20 ans. Pour les Flamands, le but du jeu, si je puis dire, est d'obtenir le maximum de consessions avant l'obtention de l'indépendance ou du confédéralisme, en misant sur la "peur" des francophones face à cette indépendance flamande.
Il serait temps que nos représentants francophones (Joëlle Milquet du CdH, Didier Reynders du MR, Elio DiRupo du PS et les Ecolos) en prennent pleinement conscience.

*NB : Pour nos amis non-Belges, "BHV" n'est pas ici l'enseigne d'un célèbre magasin parisien (et néanmoins sympathique) mais les initiales de "Bruxelles-Hal-Vilvorde", qui est un arrondissement électoral bilingue, source de tension politique majeure en Belgique, et que les Flamands veulent remettre en question, ce à quoi les francophones s'opposent...

vendredi 24 août 2007

La Belgique francophone (Wallonie-Bruxelles) face à l'indépendantisme flamand : une nouvelle attitude

Posons le décor. Observateur et acteur de la vie politique belge, exerçant au sein d'une haute administration nationale, et consultant à mes heures pour certaines institutions extérieures, je publie ce blog sous un pseudo commode, "Belgiko". Je constate que mon évolution à l'égard du débat national belge correspond à celle de nombre de mes concitoyens francophones. Cette opinion de plus en plus répandue chez les francophones sur le fait que l'indépendance de la Flandre n'est plus taboue et qu'il est temps, pour nous francophones, de présenter à notre tour des demandes précises à nos partenaires flamands (périphérie bruxelloise, surreprésentation flamande à Bruxelles, etc), je la partage, mais je ne peux -hélas- l'exprimer ouvertement dans le cadre de mes fonctions actuelles, on comprend aisément pourquoi (neutralité oblige).

La perspective de l'indépendance de la Flandre a cessé d'effrayer les Belges francophones, qui désormais désirent y faire face, mais pas passivement et sur la défensive comme autrefois, quand ils faisaient d'éternelles concessions institutionnelles à des Flamands insatiables, tout ça pour "sauver l'union à tout prix".

Dorénavant, leurs représentants élus, issus des 4 principaux partis politiques francophones belges, affichent un "front commun" sur le plan institutionnel avec la ferme intention de ne plus désorganiser l'espace francophone belge (et l'Etat belge) au seul bénéfice des exigences flamandes.

Cette nouvelle attitude n'est pas venue naturellement, elle est le résultat d'une lente prise de conscience par rapport aux capitulations institutionnelles successives et suite à l'exaspération d'une large partie de l'opinion belge francophone de ce fait. Donc, les élus francophones clament que, si les Flamands proposent la scission de l'arrondissement bilingue "Bruxelles-Hal-Vilvorde" (appelé ici "BHV"), on leur opposera la demande d'un référendum local, dans les 6 communes à majorité francophone de la périphérie flamande de Bruxelles, pour le rattachement de ces communes à la capitale. On y reviendra.

Il conviendra de voir "à l'usage" si, dans les négociations actuelles, les francophones "tiendront bon" (pour la première fois...) ou bien si, comme d'habitude, ils finiront par plier et céder aux revendications flamandes portées par les nationalistes et autonomistes flamands sortis majoritaires des élections de juin 2007. L'opinion publique francophone ne le tolérerait pas et ce serait au détriment de la Belgique.

Ayant participé, en raison de mes compétences en Droit (international et droit interne belge), aux coulisses des récentes "négociations" (peut-on parler de négociations quand un seul partenaire veut imposer ses exigences à l'autre ?) entre Flamands et Francophones, qui se sont tenues ces deux dernières semaines, je doute de la réelle volonté du côté francophone (je parle des partis politiques, pas de l'opinion publique) de s'opposer aux exorbitantes exigences flamandes sans cesse augmentées.

J'ai eu l'impression que chaque fois que l'équipe de Leterme avançait l'argument massue selon lequel "risque de fin de la Belgique si vous (Francophones) ne cédez pas", les Francophones reculaient... Ils n'ont pas encore compris qu'il n'y a pas d'appeasement possible envers les revendications flamandes et que l'ultime objectif est l'indépendance de la Flandre. Alors à quoi bon faire de nouvelles concessions maintenant, qui ne feront qu'affaiblir la position francophone lors de la négociation future sur un "partage".

Seule Joëlle Milquet (CdH) m'a semblé avoir la ferme intention de ne rien céder, non pas par pure obstination, mais parce que son parti semble décidé à ne pas reculer : ses parlementaires lui ont donc forcer la main. Maingain (FDF), quant à lui, est pris entre ses convictions et son arrimage au MR : dilemme, quand tu nous tiens... Didier Reynders (MR), en revanche, m'a déçu : il ne semble intéressé que par sa réforme fiscale au détriment des intérêts du front commun francophone. Quant au PS d'Elio Di Rupo, il partage sur le fond la stratégie du front commun avec les autres partis francophones, et la volonté d'organiser (enfin !) la "nation francophone" belge (ce que les Flamands, eux, ont fait depuis longtemps en ce qui les concerne...), mais le problème c'est que le PS est absent de la scène fédérale actuelle et donc il ne veut pas apparaître comme un "renfort" du MR de Reynders... Quand est-ce que certains cesseront-il de privilégier la "petite politique politicienne" par rapport aux grands enjeux de la Belgique francophone d'aujourd'hui ?


Que se passerait-il si la Flandre prenait son indépendance ? Les francophones ont toujours eu tendance à refuser d'envisager ce scénario. Pourtant les choses ont changé (dans l'opinion publique en tout cas...) et l'impossible d'hier apparaît pourtant aujourd'hui plausible et probable. Que feront les francophones belges si cela se produit ? Attendrons-nous de voir ce qui se passe, d'attendre que ça passe et en faisant les autruches ? Ou préparerons-nous aussi enfin notre propre projet institutionnel d'Etat francophone dans le réalisme ?

Une piste émerge des nombreux forums sur le sujet, et au sein de la classe politique belge francophone : si la Flandre se sépare de la Belgique, cela ne signifie pas la fin de la Belgique, mais seulement son évolution vers une union à 2 régions (Wallonie et Bruxelles) au lieu de 3 actuellement.

Pour ceux qui voudraient se familiariser avec le problème belge, ou faire un dépoussiérage de leurs connaissances : voici tout d'abord quelques chiffres.

D'un côté, la Flandre compte 6 millions d'habitants (à 95 % néerlandophones), avec une petite minorité francophone résidant essentiellement en Brabant flamand ; de l'autre côté, la Belgique "sans la Flandre", c'est-à-dire la Wallonie et Bruxelles, représente 4,5 millions d'habitants (à 95 % francophones), avec une petite minorité néerlandophone à Bruxelles (minoritaire, même localement) et une petite minorité germanophone -dans l'extrême est de la Wallonie (minorité localement majoritaire).

Bien sûr le système institutionnel de l'Etat belge actuel, qui inclut la Flandre, est plus complexe (3 communautés et 3 régions + 1 état fédéral), mais il s'agit ici de donner une idée démographiques des deux principales nations "linguistiques" qui forment aujourd'hui cet Etat commun, comparable sur plusieures points à l'union qui existait jadis entre Tchèques et Slovaques (aujourd'hui 2 Etats distincts et membres de l'Union européenne).

Ces deux blocs linguistiques (Flandre d'une part, et Wallonie-Bruxelles d'autre part) ont une population équivalente à celle d'autres démocraties européennes de taille comparable : Suisse, Irlande, Norvège, Danemark, Slovénie, etc. Ces derniers exemples, pour ceux qui en douteraient encore, montrent que des petits pays européens prospères et démocratiques sont parfaitement viables. Je précise bien : démocratiques.

Nul doute que la Flandre et la Belgique "Wallonie-Bruxelles" sont toutes deux dans ce cas. Ce que la Tchéco-Slovaquie a réussi à faire -un divorce de velours- avec pourtant une tradition démocratique plus récente, il est certain que l'Etat belge actuel y parviendrait aussi. Tous les problèmes techniques liés à une telle situation seront négociés : partage de la dette, des actifs, question des ambassades, de Bruxelles (on reviendra sur le cas de Bruxelles), etc. Sans ressentiment de part et d'autre, mais dans le souci constructif de bâtir de nouvelles relations saines d'Etat à Etat, alors que les 2 communautés ne se supportent plus dans l'Etat commun actuel.